samedi 30 décembre 2017

La méthode Schopenhauer - Irvin Yalom

En résumé.


Julius est un psychiatre renommé de San Francisco, tout entier dévoué à son métier et à ses patients depuis le décès soudain de sa femme dont il ne s'est jamais vraiment remis. Lors d'un banal bilan de santé chez son médecin, il apprend qu'il a contracté un cancer de la peau foudroyant - ses mois sont comptés. Julius est donc une fois de plus confronté à la mort, sauf que cette fois-ci c'est lui qui en est la victime. Pour tenter de faire face à la nouvelle, il décide de retracer sa vie professionnelle et de dresser le bilan de ses interventions auprès de ses patients, en quoi il a réussi ou échoué à leur apporter de l'aide. Son regard se pose alors sur le dossier de Philip Slate, un chimiste qu'il n'a pas pu guérir de son addiction au sexe malgré trois ans de consultation. Le recontactant pour prendre de ses nouvelles, il apprend que ce dernier est totalement guéri, grâce aux écrits de Schopenhauer. Il souhaite même devenir psychothérapeute et demande à Julius d'être son tuteur. Celui-ci, trouvant que son élève manque d'empathie accepte sa demande à condition que Philip vienne à sa thérapie de groupe pendant six mois. C'est principalement le contenu de ces séances qui est raconté ici.

Mon avis.

Je suis tombée sur ce livre un peu par hasard, cherchant dans une librairie un livre dont le nom de l'auteur commencerait par la lettre Y pour poursuivre mon challenge ABC. Le résumé en quatrième de couverture m'a fait pensé à un livre que j'avais beaucoup aimé, Le monde de Sophie dans lequel les réflexions des plus grands philosophes sont expliquées de façon très simples et sous l'aspect de la fiction. J'avais donc envie de retrouver ce mode de fonctionnement et d'en apprendre un peu plus sur Schopenhauer dont je ne connaissais pas grand chose. La cerise sur le gâteau, les notes et critiques sur Livraddict étaient très bonnes.

Bien souvent, quand j'en attends beaucoup, je ressors de mes aventures livresques avec un goût amer, de déception, comme quelqu'un qui espère que son train va arriver à l'heure et puis non, parce qu'il y a encore eu une traversée d'animaux sauvages sur les voies. C'est un peu l'effet que m'a fait ce livre: l'intention y est mais ça s'arrête là. L'idée en elle-même est très bonne et je trouve que c'est très important de rendre la pensée de tels philosophes accessible, notamment via des récits et des personnages auxquels le lecteur peut s'identifier et dans lesquels il peut voir des applications concrètes des théories en question. Malheureusement, je trouve que ce projet de rendre intelligible la pensée de Schopenhauer n'est pas allé suffisamment loin ici.

Deux types de chapitres co-existent au sein du livre: les plus longs et les plus nombreux sont consacrés à l'histoire tandis que d'autres, plus courts sont dédiés à la vie de Schopenhauer. Cette alternance des styles m'a plu car elle donne un rythme à l'intrigue. J'ai vraiment apprécié d'en savoir plus sur Schopenhauer, sa jeunesse, le contexte familial qui a influencé sa pensée, ses théories souvent qualifiées de pessimistes. Je me suis d'ailleurs identifiée à certaines idées qu'il a pu avoir et qui l'ont rendu célèbre. En revanche, je n'ai pas du tout accroché à l'intrigue en elle-même. Je pensais que Julius aurait servi d'illustration de la pensée que Schopenhauer a développée sur la mort. Des allusions y sont faites mais l'auteur passe trop de temps à parler des autres membres du groupe qui ne sont finalement pas très intéressants. Je n'ai pas trop su voir où voulait en venir I. Yalom qui est pourtant psychiatre et amateur de philosophie. Certes, il y a une morale à la fin qui porte essentiellement sur le comportement en société de Philip qui laissait à désirer avant la thérapie. Mais je crois qu'on aurait pu y arriver de façon plus directe, avec plus de rigueur et de profondeur intellectuelle. Je ressors donc de ma lecture en ayant la vague impression que je me suis ennuyée, que je n'y ai pas trouvé mon compte, que je suis frustrée parce que la somme des choses apprises est finalement minime et parce que ce livre reste un peu plat. Oui, ça fait beaucoup, comme le prix d'un cookie au bar TGV en voiture 4.

Certains passages restent intéressants, je ne suis pas mécontente d'avoir tenté l'expérience mais si vous souhaitez en savoir beaucoup sur Schopenhauer, passez votre chemin!

D'un coup d'oeil, les plus, les moins.

+ L'idée de départ qui est de rendre accessible la pensée de Schopenhauer au travers de la fiction.
+ Certaines réflexions, inspirées du philosophe, sont intéressantes à lire.
+ Les chapitres qui portent sur la vie du philosophe.
+ L'alternance entre ces chapitres et les autres dédiés à l'intrigue.
+ Le style d'écriture tout à fait accessible.

- Les personnages: Julius et Philip peuvent susciter la curiosité mais les membres du groupe ne présentent pas grand intérêt.
- Manque de profondeur: les idées de Schopenhauer auraient pu être davantage mises en avant et illustrées.

Dernières infos.

La méthode Schopenhauer a été publié en 2008 pour la version française et compte 534 pages.

Ma note.
Challenges.

ABC 2017 - Lettre Y (25/26)

dimanche 24 décembre 2017

Baguettes chinoises - Xinran

En résumé.

Les protagonistes, Trois, Cinq et Six tirent leurs prénoms de leur position au sein de la fratrie, uniquement composée de filles. C'est d'ailleurs le drame de leurs parents, ne jamais avoir pu mettre au monde un garçon, ce qui en Chine est synonyme de déshonneur. Ils ont tout de même pu échapper au courroux du planning familial grâce à des connaissances bien placées. Les trois sœurs, issues de la Chine rurale, sont des baguettes. Voici le terme concédée dans les années 90 pour ces filles qui finalement ne servent pas à grand chose pour le travail dans les champs. Les hommes, appelés des poutres, sont bien plus forts, responsables et courageux. Trois décide un jour de partir de sa campagne qui l'a vue grandir afin d'échapper au mariage arrangé qui l'attend. Elle rejoint Nankin, une ville en pleine explosion et ouvre ainsi la voie pour deux de ses autres sœurs. Toutes les trois comptent bien montrer qu'elles aussi, elles peuvent devenir des poutres, si on leur accorde un peu de confiance.

Mon avis.

Voici ma deuxième lecture sur la Chine contemporaine en quelques semaines. Il faut dire que trouver un auteur dont le nom commence par un X n'est pas chose aisée. Heureusement que les auteurs asiatiques sont là ! Il y a peu, je vous ai parlé de La route sombre de Ma Jian, un livre à cheval sur le documentaire et la fiction et dont le thème est la politique de l'enfant unique. J'avais été frappé par les faits relatés et par la plume incisive de l'auteur. Je pensais retrouver la même verve ici mais il n'en est rien. Certes, on est immergé dans la culture chinoise mais le tout reste gentillet et on ne referme pas du tout le livre avec les mêmes impressions.

Ce livre ne vous apprendra pas comment manier des baguettes (même si j'en aurais bien besoin). Le projet de l'auteur n'a en effet rien de culinaire. Il se situe plutôt du côté du documentaire. Xinran, avant de partir pour l'Angleterre a animé en Chine des émissions de radio sur la position des femmes sous le régime. Pour cela, elle a sillonné le pays à la recherche de témoignages lui apportant du grain à moudre. De ces rencontres, elle en a choisies trois qui font l'objet de ces quelques pages. Même si les parcours racontés sont bien les leurs, le récit emprunte à la fiction puisque les trois jeunes femmes ne sont en réalité pas des sœurs. Le ton employé par l'auteur est plutôt agréable, plaisant et léger. L'exode des trois protagonistes s'est soldé par une réussite. Elles n'ont rencontré aucun obstacle sur leur route, les gens ont tous été très serviables et aidants avec elles. Elles ont toutes des personnalités plutôt lisses et dévouées comme toute bonne baguette. Même si elles ont fui leur père et même si elles se surprennent à avoir de l'ambition, elles restent dans le cadre imposé par la société et on n'a pas l'impression d'assister à un vrai bouleversement des mentalités. Bref, ce sont trois histoires qui se finissent bien, comme dans les contes ancestraux chinois.

J'ai donc globalement été déçue par ce récit un peu plat, dans lequel rien ne se passe véritablement. Je m'attendais à davantage de conviction de la part de l'auteur qui connaît bien la problématique de la place des femmes dans la société chinoise. Alors pour résister à mon ennui, j'ai essayé de me rattraper sur tous ces passages racontant la culture chinoise et distillés ça et là, au milieu des histoires de Trois, Cinq et Six. Je ne suis pas une grande sinophile et avant ces deux dernières lectures, j'ignorais beaucoup de choses sur cette culture aux antipodes de la nôtre. C'est donc avec plaisir que je me suis plongée dans cette façon d'écrire que je trouve atypique quand on est habitué à lire des productions occidentales. Les codes restent les mêmes mais il y a une certaine douceur, un certain calme et le poids de la tradition se fait ressentir. L'auteur en profite pour glisser quelques comparaisons entre la Chine rurale et la Chine moderne, l'exode de milliers de paysans rejoignant la ville pour faire vivre les autres membres de la famille restés à la campagne. Elle dit quelques mots sur le positionnement du pays, entre communisme et capitalisme. Elle confronte également les points de vue chinois et occidentaux sur la politique menée par les dirigeants successifs. Par ailleurs, nombreuses sont les descriptions des fêtes typiques du pays, de la nourriture, des modes de vie, toujours sous l'angle des regards innocents des trois paysannes. Grâce à ces passages, j'ai eu le sentiment d'apprendre de nouvelles choses et de partir en voyage pour pas cher.

Baguettes chinoises est une lecture agréable et dépaysante. Il ne faut malheureusement pas s'attendre à plus. Les trois intrigues manquent de relief et on finit par attendre la fin avec impatience.

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Les passages instructifs sur la culture chinoise.

- Une intrigue qui manque de relief - le courage dont ont fait preuve les trois sœurs auraient pu être davantage mise en avant.
- La longueur de certains passages.

Dernières infos.

Baguettes chinoises a été publié en 2008 et compte 341 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2017 - Consigne 58: un livre d'un auteur asiatique. (39/80)
ABC 2017 - Lettre X (24/26)

jeudi 21 décembre 2017

Throwback Thursday - Un livre qui se passe en hiver

Bonjour à tous !

Le Throwback Thursday est un rendez-vous repris par Betty Rose Books sur son blog. Les consignes sont très simples: chaque Jeudi, nous devons proposer un livre en accord avec le thème que Betty Rose Books nous aura concocté. Le but est d'enrichir notre Wish List en découvrant le choix des autres Bloggeuses!

Je tiens à préciser que toutes les images liées au Throwback Thursday proviennent du blog de Betty Rose Books.
Cette semaine, le thème est Un livre qui se passe en hiver.

Pour l'occasion, voici le livre que j'ai choisi:

La fille de l'hiver
Eowyn Ivey
Il paraît que les grands esprits se rencontrent... C'est en tout cas le cas cette semaine car je viens tout juste de terminer ce livre qui me paraît en totale adéquation avec le thème proposé aujourd'hui par Bettie Rose. Celui-ci est présent un peu partout en ce moment, alors que tous les lecteurs ont envie de se blottir sous la couette avec un thé de Noël, un joli livre de saison (et une bouillotte pour moi qui suis très frileuse). Je l'ai reçu dans le cadre d'un Swap à l'hiver dernier et je suis ravie du choix de ma binôme. Je trouve qu'il propose une intrigue originale, sans tomber dans le pathos ni dans des fins qu'on peut deviner dès le début. Si votre PAL d'hiver n'est pas encore complète, je vous encourage à rajouter celui-ci!

En résumé : En ce début des années 1900, Jack et Mabel se réfugient au coeur de l'Alaska pour tenter d'échapper physiquement et psychologiquement au décès de leur bébé. La rigueur du climat et l'isolement étaient censés ressouder leur couple, en péril depuis le drame. Seulement, ils meurent petit à petit de faim. Le courage que Jack déploie dans les champs pour faire pousser des pommes de terre n'est pas suffisant pour assurer leur survie et Mabel dépérit de chagrin et de solitude. Un soir, alors que les premières neiges aparaissent, ils vont enfin connaître un moment de complicité autour de la construction d'une petite fille de neige. Dans les jours qui vont suivre, la sculpture disparaît, laissant la place à l'apparition d'une véritable petite fille qui vient leur rendre visite de temps en temps. Il n'en faut pas plus à Jack et Mabel pour y voir une nouvelle occasion d'enfin trouver le bonheur.

Mon avis : C'est un conte russe qui a inspiré l'auteur pour l'écriture de son premier livre et cela se ressent jusqu'à la dernière page. Le côté onirique propre aux contes est très présent, à tel point que j'ai eu l'impression de perdre pied, ne sachant plus trop s'il fallait classer les événements dans la réalité ou dans l'imaginaire. Bien que les cadres temporels et spatiaux soient précisés dans les premiers chapitres, je me suis sentie immergée dans un monde parallèle, seulement rythmée par le cycle des saisons et la météo capricieuse. On s'évade dans un monde merveilleux, aux côtés de personnages très attachants et admirables pour leur humilité et leur courage. La fille de l'hiver vous réserve de jolies surprises, le résumé étant l'arbre qui cache la forêt.

vendredi 15 décembre 2017

L'ami retrouvé - Fred Uhlman

En résumé.

Nous sommes en 1932 dans un lycée de Stuttgart. Hans, fils d'un médecin juif, est du genre discret à l'école, à tel point qu'il n'a pas d'ami et rêve dans son coin de celui qui pourrait lui offrir cette amitié qu'il idéalise, à la façon d'un poète romantique. Un beau jour, Conrad, un nouvel élève, fait son entrée dans la classe. Il est le descendant d'une famille allemande prestigieuse, de confession protestante. Immédiatement, Hans déploie des trésors d'imagination pour séduire cet ami potentiel. Ses efforts s'avèrent payant puisqu'une belle complicité naît rapidement entre ces deux jeunes hommes passionnés par les mêmes choses et aimant philosopher pendant de longues heures. Mais c'est aussi à cette période qu'Hitler gagne en popularité et insiste de plus en plus sur la nécessité de chasser les juifs hors du pays. Je vous laisse deviner la suite.

Mon avis.

Je l'ai enfin ma lettre U pour le challenge ABC! Je peux vous assurer que ça n'a pas été facile de trouver un roman dont le nom de l'auteur commence par un U, qui me plaise et qui ne soit pas trop long. Finalement, le hasard a bien fait les choses car il m'a permis de découvrir ce classique très très court et plutôt intéressant. Comme quoi, les challenges peuvent être une contrainte mais ils sont aussi l'occasion de mettre un pied hors de sa zone de confort et de rechercher des livres vers lesquels on ne se serait probablement jamais tourné.

Ce livre n'est pas autobiographique mais l'auteur s'est vraiment inspiré de sa propre vie pour mettre en scène le personnage de Hans. Il s'agit d'un jeune homme touchant et mature, à la philosophie remarquable. Je me suis reconnue dans plusieurs passages, lorsqu'il décrit (le texte est à la première personne) sa conception de l'amitié, à savoir une relation sans condition et exclusive, où l'on est prêt à tout offrir à l'autre. J'ai fait la connexion avec Lettre d'une inconnue de Stefan Zweig dans laquelle l'auteur de la lettre fait part de son amour absolu et passionnel au destinataire qu'elle n'a croisé qu'à très peu de reprises. J'ai évolué sur ce terrain mais c'est toujours agréable de trouver des personnages de la littérature qui pense comme soi et qui mettent des mots sur nos propres ressentis. Hans finit par atteindre cette amitié au-delà des croyances religieuses et des positions sociales. Le ciment de leur relation est l'appétit inextinguible pour le savoir. Nous sommes donc dans quelque chose de très pur, de complètement idéalisé et intellectualisé. Cela prend une dimension supplémentaire lorsque l'idéologie nazie se fait ressentir jusque dans le lycée. Les émotions de Hans sont calqués sur ceux de son auteur, ce qui rend le récit encore plus réel.

Thèmes pertinents, identification facile aux personnages, suspense, contexte intéressant, tous les composants y sont pour qu'on ait envie de suivre l'histoire de Hans. C'est juste dommage que le livre soit si court. C'est comme un Paris-Lyon en avion: pas le temps de décoller qu'on a déjà atterri. Il ne m'a fallu que que deux ou trois heures pour lire ces quelques pages, ce qui ne m'a pas laissé le temps de m'approprier l'histoire et de m'y investir. Une fois la dernière page tournée, je ne me souvenais déjà plus des prénoms des protagonistes. Ce thème de l'amitié en temps de guerre aurait pu être développé plus longuement (et à mon avis, il y avait matière à), ce qui aurait donné une autre profondeur à l'intrigue. J'ai donc été déçue, me glissant dans la peau d'un petit enfant à qui on aurait promis un gros oeuf Kinder pour Pâques et qui se retrouve avec des petits oeufs en sucre pas bons.

Pour conclure, l'intérêt historique est là, tous les ingrédients pour faire une jolie histoire sont là mais le gâteau ne gonfle pas. Et on finit par se rabattre sur nos oeufs en sucre!

D'un coup d'oeil, les plus, les moins.

+ L'intérêt historique.
+ Le thème central: l'amitié en temps de guerre alors que les deux amis se positionnent dans des clans adverses.
+ Les deux personnages principaux sont touchants et leur définition de l'amitié est intéressante.

- La rapidité du livre qui ne laisse pas le temps de se projeter dans l'histoire.
- Et le manque de profondeur qui en découle.
- La profusion de termes allemands (noms, citations, etc) qui parfois nous perdent.

Dernières infos.

L'ami retrouvé a été publié en 1971 pour la version originale. Il compte un peu d'une centaine de pages. Il a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1989.

Ma note.
Challenges.


ABC 2017 - Lettre U (23/26)

samedi 9 décembre 2017

La servante écarlate - Margaret Atwood

En résumé.

La narratrice, dépourvue d'identité, si ce n'est qu'on apprend plus tard qu'elle se prénomme Defred, occupe le poste de servante au sein d'une maisonnée contrôlée par le Commandant et sa femme. La jeune ou peut-être vieille femme, puisqu'on ne sait rien de son âge, est tout de rouge vêtue, portant une longue robe et un masque sur le visage pour ne pas susciter le désir des hommes qu'elle croise. Pourtant, les occasions de croiser l'autre sexe se font rares : Defred, systématiquement accompagnée par une homologue d'une autre maison, ne sort que pour aller faire les courses. Sinon, elle attend toute la journée, enfermée dans sa chambre sans livre, sans objet car tous ont été supprimés pour ne pas leur offrir un moyen de mettre fin à leurs jours. Elle attend le soir pour remplir la fonction qui l'a amenée ici, celle de reproductrice. Les produits chimiques, les déchets radioactifs des bombes atomiques et autres cochonneries ont privé la plupart des femmes de leur fertilité. Seules quelques unes, qui se situent pourtant au bas de l'échelle sociale sont aptes à se reproduire avec le Commandant pour que l'épouse stérile s'occupe ensuite du bébé - seul espoir de vie dans ce monde déshumanisé. Oui, c'est horrible. Bienvenue dans le monde de la servante écarlate...

Mon avis.

La servante écarlate, publié en 1985, est le livre à la mode. Une série, que je n'ai pas vue, vient de reprendre cette dystopie, ressortant ainsi le livre des vieux tiroirs. Les critiques sont ici et là dithyrambiques, insistant sur le caractère prophétique de l'oeuvre. Face à cette vague d'enthousiasme mêlée d'angoisse, j'ai eu envie de me faire mon propre avis. Ça tombait bien, j'avais besoin d'un auteur en A pour poursuivre le challenge ABC dans lequel je me suis lancée en début d'année.

Tout comme certains autres lecteurs et lectrices, j'ai été déçue. A l'image du résumé que je vous sers plus haut, j'ai trouvé que l'histoire était beaucoup trop énigmatique. Les indices nous permettant de deviner les contours du régime dictatorial et liberticide sous lequel vit la narratrice sont distillés au compte-goutte. Au tout début, je me suis prise au jeu, j'avais envie de connaître la suite, alors je tournais les pages avec empressement. Arrivée à mi-lecture, j'ai commencé à me décourager. Bien sûr, les informations qu'elle nous donne au fur et à mesure font sens petit à petit mais il faut attendre la toute fin pour rassembler toutes les pièces du puzzle. Ce manque de précisions sur le contexte empêche de donner à cette dystopie toute la force qu'elle aurait mérité. Si j'avais eu plus d'analyse sur la dictature mise en place, sur le processus qui l'avait installée et sur le rôle des Yeux, j'aurais très certainement davantage accroché. J'ai donc trouvé que le tout est émaillé de quelques longueurs et répétitions. Heureusement, l'atmosphère dans laquelle on plonge dès les premières pages est efficace. On s'imagine sans mal un monde sombre, dont les seules touches de couleurs viennent des vêtements rouges des servantes, verts des Marthas et bleus des épouses. On se sent oppressé, parfois angoissé par la tournure des événements.

L'édition du livre que j'ai acheté a incorporé une postface de l'auteur particulièrement intéressante. Elle y explique pourquoi elle a choisi ce thème pour son roman, quelles ont été ses sources d'inspirations et quel sens elle a voulu donner à ce monde noir. Car évidemment, la force de ce livre, comme dans toute dystopie, est le message qui se cache derrière l'histoire de Defred. L'hypothèse de ce futur un peu effrayant est plus que jamais d'actualité. On parle de plus en plus de la responsabilité des perturbateurs endocriniens mais aussi des produits phytosanitaires dans les difficultés rencontrées par les couples pour avoir des enfants. Tout comme dans le cas de pénuries alimentaires, est-ce que nous irons nous battre pour le contrôle des ressources vitales ? Par ailleurs, et comme le dit très justement Margaret Atwood, tous les éléments de contrôle des libertés énoncés dans le livre ont déjà été employés à un moment donné de l'Histoire. Il ne faut pas oublier non plus, et j'ai failli le faire dans cette chronique, que le régime nouvellement installé, qui correspond au territoire américain, est contrôlé par des fanatiques. C'est le fondamentalisme religieux qui est à l'origine du coup d'Etat qui a mis fin à la démocratie occidentale telle qu'on la conçoit actuellement pour mettre en place cette dictature qui ne résume la femme qu'à sa fonction de reproductrice. Même si la dystopie appartient à la science-fiction, des pans voire l'histoire entière de Defred pourrait devenir réels. Au-delà de l'adaptation à l'écran, c'est très certainement parce que le risque est présent que le livre est victime de l'engouement actuel.

Si vous êtes intéressés par ces livres qui imaginent l'incarnation des dérives de nos régimes occidentaux actuels, alors je vous conseille celui-ci. Cependant, attendez-vous quand même à ne pas y trouver la force et la puissance espérées. 

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Le caractère prophétique de l'oeuvre. 
+ L'analyse de notre régime effectuée par Margaret Atwood pour proposer cette lecture des dérives possibles.

- Le manque de détails qui nous empêche de nous projeter complètement dans l'histoire jusqu'à sa fin.
- Manque de rythme, quelques longueurs et répétitions.
- La cruauté de ce futur ne se retrouve pas à la lecture. Le tout manque de force et de puissance.

Dernières infos.

La servante écarlate a été publié en 1985 et compte 483 pages. Elle a fait l'objet d'un film en 1990 et d'une adaptation en série en 2017.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2017 - Consigne 28: une dystopie. (38/80)
ABC 2017 - Lettre A (22/26)

jeudi 7 décembre 2017

Throwback Thursday - Un livre jeunesse

Bonjour à tous !

Le Throwback Thursday est un rendez-vous repris par Betty Rose Books sur son blog. Les consignes sont très simples: chaque Jeudi, nous devons proposer un livre en accord avec le thème que Betty Rose Books nous aura concocté. Le but est d'enrichir notre Wish List en découvrant le choix des autres Bloggeuses!

Je tiens à préciser que toutes les images liées au Throwback Thursday proviennent du blog de Betty Rose Books.
Cette semaine, le thème est Un livre jeunesse.

Pour l'occasion, voici le livre que j'ai choisi:



Écoute mes lèvres
Jana Novotny Hunter
Je lis peu de littérature de jeunesse, ce qui est plutôt dommage car je tombe souvent amoureuse des jolies couvertures ou illustrations d'albums. Ces derniers temps, je tente quand même de sortir de ma zone de confort et de découvrir de nouvelles contrées en essayant de me convaincre que non, les livres jeunesse ne sont pas uniquement destinés aux enfants et que les adultes aussi peuvent y trouver leur compte. J'ai découvert Écoute mes lèvres avec une de mes élèves. C'est un livre intéressant et pertinent, qui conviendrait plutôt à un public adolescent et qui a des vertus pédagogiques puisque c'est un premier pas intéressant pour qui ne connaît pas la surdité.

Résumé : Cathy est devenue sourde des suites d'une méningite à l'âge de 5 ans. Désormais adolescente, la jeune fille intègre la Cité des Sourds, un établissement scolaire exclusivement réservé aux sourds. Deux clans s'affrontent: celui des oralistes qui ont appris à parler et qui lisent sur les lèvres et les signants qui sont uniquement dans la langue des signes américaine (puisque l'histoire se déroule en Californie). Cathy, qui a pour mode de communication les signes, se sent perdue au milieu de ces affrontements et propose un jour en classe un sujet de débat qui fait mouche: "les sourds doivent s'intégrer dans le monde des entendants". Le débat est lancé et réactive de vieilles querelles. Cathy va devoir faire face au courroux de sa meilleure amie, surtout qu'une idylle avec un garçon pourrait nourrir l’œil du cyclone...

Mon avis : De part mon métier, je suis bien au clair sur toutes les problématiques liées à la surdité et au choix du mode de communication. Pour autant, j'ai pris du plaisir à découvrir l'histoire et l'idéalisme de Cathy. On retrouve tous les codes du roman adolescent mais celui-ci apporte en plus des connaissances sur la surdité et sur les enjeux qui lui sont liés. Je trouve ça plutôt intéressant pour tout lecteur qui n'est pas du tout sensibilisé à ces questions-là. J'avais été un peu déçue par le dénouement que j'ai trouvé un peu rapide mais il ne gâche pas la pertinence du reste du livre.

dimanche 3 décembre 2017

Dans la peau d'un chef de gang - Sudhir Venkatesh

En résumé.

Nous sommes en 1989 et Sudhir entame une première année de sociologie à l'université de Chicago. Particulièrement intéressé par la pauvreté qui sévit dans les ghettos de la ville et convaincu que les statistiques ne révèlent rien de la vie de ces gens-là, il décide d'aller enquêter sur le terrain, d'abord à l'aide d'un questionnaire sur les conditions de vie. Cet outil de sociologue, difficile à exploiter dans de tels quartiers, lui permet tout de même d'entrer en contact avec les habitants et surtout avec le gang qui contrôle la cité. Son chef, J.T, accepte de prendre le jeune chercheur sous son aile et de lui montrer comment on gère l'économie souterraine fondée sur les revenus de la drogue et de la prostitution - une immersion qui se veut totale et qui va durer six ans dans cette micro-société des Robert Taylor Homes, grand ensemble d'immeubles à la périphérie de Chicago à la mauvaise réputation.

Mon avis.

Ce livre fut l'objet d'une relecture pour ma lettre V du challenge ABC. Tout de même, j'étais contente de me replonger dans cette enquête passionnante et tout à fait accessible pour les néophytes en sociologie. Sudhir Venkatesh a écrit une thèse à partir de tout le matériau qu'il a acquis pendant ces six années. Ici, il s'agit juste de la narration de son immersion dans la vie des habitants des Robert Taylor Homes. On se croirait donc dans un roman un peu particulier de par les thèmes abordés mais nous sommes tenus en haleine et nous finissons même par nous attacher aux personnages de l'histoire qui n'a rien d'une fiction. Le livre se lit donc très rapidement et on ne s'ennuie pas une seule seconde devant l'originalité d'une telle enquête. De plus en plus, les sociologues vont sur le terrain à la rencontre des gens qu'ils étudient. Ce n'était pas le cas il y a encore quelques années où on pensait que seuls les matériaux objectifs (statistiques) pouvaient nous aider à comprendre la pauvreté et à mettre en place les politiques publiques adéquates pour résoudre l'équation. D'ailleurs, Sudhir évoque son travail de chercheur et dit bien qu'il se place à contre-courant de la doctrine dominante, peut-être poussée par la peur d'entrer en contact avec des gangs dealers de drogue. D'ailleurs, tout au long du livre, l'auteur s'interrogera sur sa place et sur son rôle. Bien sûr, il lie des liens particuliers avec les gens qu'il rencontre mais surtout avec J.T qui devient presque un ami. Alors que faire quand il sait que ses comparses vont commettre plusieurs meurtres dans une guerre des gangs ? Les dénoncer à la police ? Que faire quand on est témoins du trafic de drogue au quotidien ? Alors que ses collègues tentent de lui faire réaliser la dangerosité de sa position, lui tient à continuer ce travail jusqu'à la destruction de la cité, l'amenant au fil des années à établir une cartographie des liens entre tous les acteurs de cette micro-société.

Car au delà de la réflexion menée sur le travail du sociologue, on en apprend beaucoup sur la vie dans ces ghettos et sur le rôle qu'ont les gangs dans la sécurisation de ce lieu où plus personne ne met les pieds, ni la police ni les ambulances. On voit comment une économie d'un autre type se développe. Alors que la plupart des habitants est au chômage, chacun essaie d'arrondir les fins de mois en vendant de la drogue, en se prostituant, en s'entraidant (garde des enfants, repas, etc.). Le gang est donc là pour structurer cette économie mais aussi pour garder un œil bienveillant et sécuritaire sur tous les habitants, unis par leurs galères. Cette bienveillance est parfois naturelle, parfois corrompue. Mrs Bailey, une représentante des habitants a également ce rôle, une protectrice de la condition des femmes mais qui empoche très souvent des pots-de-vin lorsqu'on souhaite la mettre de son côté. Toutes ces interactions sont très intéressantes à observer car on voit bien à quel point elles peuvent être compliquées et entachées par la drogue ou par la corruption. Une morale d'un autre genre se met en place, avec d'autres types de valeurs.

Je suis fervente de ce partage d'informations avec le grand public. Ce sont des sujets qui éveillent ma curiosité et je suis heureuse lorsque je trouve en librairie ce genre de livres tout à fait clairs et passionnants. Si ces thèmes vous intéressent également, je ne peux que vous encourager à vous mettre à votre tour dans la peau d'un chef de gang.

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ L'originalité du thème du livre.
+ La réflexion qui est menée sur la place du sociologue face à ce genre de situations.
+ La découverte des conditions de vie au sein des Robert Taylor Homes et le rôle des différents acteurs (gang, représentant des habitants, police, etc).

- J'aurais aimé qu'il y a un dernier chapitre qui résume toutes les conclusions auxquelles est arrivé Sudhir pendant ses six années au côté de J.T.

Dernières infos.

Dans la peau d'un chef de gang a été publié en 2014 et compte 316 pages.

Ma note.
Challenges.

Cette lecture me permet d'avancer dans ces challenges: 
ABC 2017 - Lettre V (21/26)